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Les références antiques constituent l’une des premières apparitions du nu masculin dans la photographie. Au XIX°s, dès l’avènement de la photographie, celle-ci montre des individus nus. Les objectifs de la photo de nu sont alors multiples, voire mêlés : de la représentation du mouvement pour la science aux modèle pour des peintures, en passant par les photographies pornographiques. Les objectifs d’une photographie de nu d’un individu dépendent en réalité de qui les achète : appelées “académie”, elle font l’objet d’un commerce et peuvent être achetées, que ce soit par des scientifiques, des peintres ou des amateurs. Cette production voit sa diffusion élargie lors de l’invention, en 1841, du calotype, qui permet d’obtenir plusieurs tirages, et donc rends les photographies moins chères. Leur caractère licencieux est bien sûr déjà présent, pouvant être achetées par n’importe qui, elles peuvent être utilisées pour n’importe quoi. Mais l’ordre et la morale réprouve une utilisation pornographique, cette appellation recouvrant toute photographie de nu ne témoignant pas d’une utilisation scientifique. Ce caractère licencieux est clairement révélé lors de l’interdiction, en 1855, de la production et de la vente de ces photographies, n’étant plus admises en tant qu’académie. Bien loin de signer effectivement l’arrêt de la production, le commerce du nu devient clandestin et ouvertement érotique. Sur les milliers de daguerréotypes érotiques évalués, 800 sont répertoriés aujourd’hui, témoignant du combat qui leur a été mené. Le représentant de cette photographie sous le manteau est Auguste Belloc, dont on a retrouvé de nombreuses photos. Il témoigne de l’existence effective de cette pratique. Cependant, si les représentations sont variées, montrant femmes nues, couples pendant l’actes et même actes lesbiens, rare est encore le nu masculin.

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L’un des pionniers du genre est le baron allemand Willhem von Gloeden. Peu après avoir commencé la photographie, en 1878, lorsqu’il soigne sa tuberculose en Sicile, il se spécialise dans les clichés d’éphèbes italiens. Il devient vite reconnu, et commence à vendre ses clichés en 1895. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, elles rencontrent un franc succès : elles sont publiées dans plusieurs magazines, le premier étant The Studio en 1893, et des figures connues les lui commandent (Oscar Wilde et Marcel Proust, entre autres). Les références antiques sont omniprésentes dans ces photographies. Le décor, déjà, est fortement inspiré de l’héritage antique. Naturellement, puisque les photographies sont prises en Italie du Sud, mais aussi de manière artificielle, en faisant poser les jeunes hommes près de colonnes, au soleil. Il reprend les éléments typiques de l’art antique. Les gestes semblent directement influencés par la statuaire grecque. Ce sont des photographies très scénarisées, presque figées. Le fait que ces photographies n’aient pas fait scandale s’explique peut-être par la prégnance de l’art antique sur la nudité en elle-même. Les jeunes garçons sont nus comme le sont les statues grecques : sans ostentation. La reprise de code permet de ne pas choquer le public : la nouveauté de la nudité photographique, réaliste, est atténuée par ce qui est accepté, voire adulé, depuis des siècles : le modèle antique. Cependant, de manière sous-jacente, il y a un certain érotisme dans les corps de ces jeunes garçons, offerts et graciles. On peut y voir un homoérotisme latent, comme dans la plupart des nus masculins. C’est d’ailleurs ce qu’y voit les fascistes. Avec la première guerre, Von Gloeden arrête la photographie et rentre en Allemagne, puis meurt en 1931. Un de ses amis, Pancrazio Bucini, hérite de 7000 clichés : il n’en récupère que 800 en 1936. Les fascistes italiens les ont saisit en 1933, et en ont détruits 60%, les considérant comme pornographiques. En 1936, elles sont reconnues comme oeuvre d’art et rendues, et Pancrazio Bucini exonérés de ses charges pour détention de photos pornographiques. Cet événement montre toute l'ambiguïté des photos de Von Gloeden, de nu en général, et surtout de nu masculin. La différence entre art et pornographie, face à la représentation réaliste d’homme nus, appartient surtout au regard extérieur subjectif. Von Gloeden est représentatif des premiers nus masculins. Le nu masculin semble alors se revêtir d’autre chose : fascination pour la beauté mâle, révérence des arts antique, mais aussi une certaine nostalgie, répandue parmi les intellectuels de l’époque, qui se traduit par une idéalisation des scènes campagnardes affublées d’histoire. Ces jeunes hommes nu traduisent alors une sorte de fantasme. Fantasme homosexuel, bien sûr, qui s’assortit d’un fantasme d’harmonie perdue, ou trop idéale, de nostalgie de l’antique et de sa perfection qui a fait rêver tant de siècle. L’interdiction tacite de ce que représente le nu masculin représente également l’impossibilité de retourner dans le passé. C’est un thème qui, bien que pionnier, se retrouve dans la photographie de nu masculin.

 

Deux autres photographes de la fin du XIX°s et début XX°s sont célèbres pour leurs photographies de jeunes hommes en Italie, et sont d’ailleurs proches de Gloeden. Guglielmo Plüschow, son cousin, et Vincenzo Galdi, modèle de Guglielmo. Les même motifs se retrouvent : jeunes hommes, poses grecques et accessoires antiques, dans les décors italiens typiques. Si les productions de ces trois photographes sont souvent confondues, Plüschow et Galdi furent tous deux condamnés en 1907 pour production de contenus outrageants pour la morale.

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Les références antiques, premier refuge du nu masculin, tiennent surtout des débuts de la photographie de nu, quand d’autres types de nus n’auraient pas été acceptés. Mais leur place et leurs motifs sont tels qu’elles ne sauraient être seulement des prétextes à l’homoérotisme, comme nous l’avons déjà montré avec Von Gloeden. Leur existence à notre époque encore dans des nus masculins récents en témoigne : il n’est plus besoin aujourd’hui de trouver un prétexte au nu masculin. Les photographies de Pierre et Gilles, pseudonyme du couple d’artistes Pierre Commoy et Gilles Blanchard, notamment, sont parlantes. Directement inspirés des mythes antiques, elles mettent en scène des éphèbes retouchés, lisses et canoniques. Là aussi, le décor fantasmagorique témoigne de la volonté de retirer le modèle de toute réalité, proposant un monde idéalisé et un homme tout aussi idéalisé. La nudité le glorifie encore plus : il est le héros de mythologie, nu, se suffisant à lui-même. Son corps correspond parfaitement aux canons de beauté, lissé, retouché, épilé, musclé. Il vante la beauté masculine, sublime et héroïque. Mais cette beauté est également irréaliste et inatteignable. L’influence du pop-art, notamment, est grande, ainsi que celle de la publicité. On peut donc lire ce “lissage” des corps, effectué à la peinture, comme la suite des photographies d’hommes parfaits de la publicité, conçus pour vendre, en clin d’oeil au pop-art qui se moquait déjà de cette logique de consommation des corps. Cette reprise du pop-art va plus loin en l’actualisant : la consommation était moquée, mais les nus étaient uniquement féminin, car c’était majoritairement le corps féminin qui était présenté comme consommable. Aujourd’hui, le corps masculin, lui aussi, est cible de consommation et d’injonctions de beauté toujours plus forte. Ce message mêlé à l’esthétique antique peut traduire la même chose que les photographies de Von Gloeden, en y ajoutant une dimension contemporaine désillusionnée : si il y a une notion de nostalgie, d’idéal antique, il n’est plus complètement inatteignable, mais accessible, en pack, à ceux qui y mettent le prix. Le fantasme sexuel, tout comme celui d’un monde fantastique, s’achète, mais a un goût de plastique.

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D’une manière différente, l’antique est aussi présente dans les œuvres de Herbert List. Il s’intéresse à la photographie en 1930. Originaire d’Allemagne et installé à Londres en 1936, il commence à vendre ses œuvres à des magazines comme Vogue ou Harper’s Bazaar dès 1937. C’est vers cette époque qu’après avoir entamé une relation amoureuse avec le photographe George Hoyningen-Huene, il décide de mêler homoérotisme et photographie. Une de ses photographies les plus connues, Fisherman, de 1938, reprend directement la célèbre peinture La création d’Adam, de Michel-Ange. Cette référence antique indirecte, aux travers de sa réinterprétation de la Renaissance, montre un Adam différent. Jeune, beau, déterminé et surtout, sans dieu. Sa nudité n’est que partielle mais, ici aussi, sublime la masculinité. Son corps, ombré sur le fond clair, ressort particulièrement et paraît à la fois sculptural et très matériel, fait de chair douce et lisse. Il regarde l’horizon avec un regard fixe. Avec ce jeune homme viril et beau, reprenant les codes de l’art classique dans sa pose, mais restant le sujet du tableau, sans histoire autour, Herbert List signe un homoérotisme plus assumé, qui célèbre véritablement la beauté masculine.

Willhem von Gloeden

Willhem von Gloeden 1895

Pierre et Gilles Hermes

Pierre et Gilles Hermes 2008

Herbert List Fisherman

Herbert List Fisherman 1938

Les références antiques dans le nu masculin

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