top of page

Cette beauté masculine est célébrée dans la plupart des nus masculins : le nu, c’est avant tout ce qui met en valeur le sujet. Même lorsque celui-ci est perdu dans la composition, la nudité attire l’oeil. Or le corps nu représenté et souvent beau, gracile, esthétique. Beaucoup de nu représentent d’ailleurs des jeunes hommes : sur les photographies étudiées précédemment, par exemple, aucun sujet ne présente de signe de vieillesse. Cette figure du jeune homme nu est une figure, parmi d’autre, du nu masculin dans l’art classique. On a vu tout ce que le nu masculin doit à l’antique et à ses statues d’hommes nus prises pour modèles pendant longtemps. Cette figure, Germaine Greer lui consacre un livre, Les garçons, figure de l’éphèbe, en 2003. Elle souligne le potentiel subversif de la beauté masculine : “Certains pensent que l’expression beauté mâle relève de l’oxymore, voire de la perversité”. L’homme n’est pas “beautiful”, il est “handsome”... et dire qu’il est “pretty” relève de l’insulte, ou du moins d’une certaine forme de dédain. Alors voir la beauté masculine, et la mettre en valeur, relève du tabou. Le jeune homme, selon Germaine Greer, serait donc la figure ambiguë qui suscite le désir chez l’homme, avec un fort potentiel érotique réprimé. Le jeune homme n’est pas défini en soi : il se définit par contradiction, en étant un homme, et donc pas un garçon, et en étant jeune, c’est à dire… pas vieux. Son corps est lisse, dépourvu de ride ou d’affaissement, mais formé comme celui d’un homme. A la fois proche de l’idéal féminin, par ses courbes douces, et de l’idéal masculin, par ses muscles, c’est un objet singulier. On comprends donc le potentiel érotique qu’on peut lui prêter. Or, ce potentiel érotique s’explique aussi par toute la charge symbolique du jeune homme : il découvre sa sexualité, et on lui prête à la fois fougue et curiosité.

​

Revenons à Herbert List, et à l’une de ses célèbres photographies, Young Workers, prise en 1954. Elle met en scène quatre jeunes hommes nus, prenant leur douche ensemble, dans des douches communes. Le contraste entre le fond, en carrelage blanc, et les corps plus sombre, les fait ressortir, tandis que l’eau leur coulant dessus met en avant les muscles du torse et les pénis. Outre le potentiel érotique de leurs corps, qu’on peut deviner et dont on a déjà analysé les mécanismes dans d’autres photographies, l’érotisme se joue aussi dans la mise en scène. En effet, ici, les jeunes garçons sont plusieurs, nus, sous la douche. Les postures de ces jeunes garçons sont interpellantes : elles semblent toutes les 4 représenter un genre de fantasme. Le premier serait l’homme fier, très viril, les bras croisés et le regard haut, dont on distingue particulièrement les pectoraux et la courbe des fesses. Le deuxième, dont le corps ressort moins, droit aussi, mais le regard tourné vers un autre homme. Le troisième fait ressortir le côté voyeur du spectateur : le regard tourné vers lui, il le défie, mais a ses mains devant son corps comme pour ne pas en donner trop. Le quatrième enfin, complètement offert, avec la tête renversée, yeux fermés et bouche ouverte, les bras en l’air. On peut évidemment un voir une scène légèrement homosexuelle, peut-être traduite par le regard du deuxième garçon vers le premier.

​

Cette photographie de jeunes hommes dans une douche en rappelle une autre, prise par Boris Ignatovich, photographe russe, en 1930 : Baths . Elle semble encore plus audacieuse, alors même qu’elle a été prise plus tôt. On y voit un jeune homme de dos, regardant un groupe d’autre garçons, dans un bain. La photo n’est pas plus audacieuse par ce qu’on y voit, la nudité n’étant pas frontale, contrairement à la photo d’Herbert List, mais elle implique une action consciente de regard d’un homme envers d’autres. Les autres sont par ailleurs noyés dans la vapeur, floutés, et le sujet est clairement le garçon du premier plan, assis, dont on distingue les moindres détails du corps, dans toute sa fragilité notamment, avec sa colonne vertébrale qui ressort. Le spectateur est en double position de voyeurisme : il voit deux plans d’hommes qui ne peuvent le voir, et voit l’acte de voyeurisme qu’on peut deviner chez le garçon du premier plan.

​

Ce motif de l’eau sur le corps masculin se retrouve chez Will McBride. Il s’installe comme photographe en 1955, en Allemagne. Il photographie beaucoup de nu masculin, mais s'intéresse aussi au nu féminin, et à toute forme de sexualité adolescente. Il a connu la censure en 1975 pour son livre Show Me!. Ses oeuvres traduisent la beauté mâle dans ce qu’elle a de plus sauvage et, déjà, virile. Les adolescents ne sont plus des objets d’appréciation esthétiques ayant de timides pulsions, mais débordent d’énergie sexuelles, canalisées dans le nu. Sont montrées à plusieurs reprises des scènes véhiculant l’homoérotisme, avec des jeunes hommes entièrement ou partiellement nus dans des vestiaires, ou enlacés dans une bagarre. Les scènes de sexe, en revanche, sont pour la plupart hétérosexuelle. Cette énergie sexuelle semble en fait n’être pas canalisée envers un seul sexe, mais polyvalent car en trop-plein. L’érotisme dégagé par sa photographie la plus iconique, Mike in the Shower, Salem, prise en 1963 lors d’une série commandée en 1963 par le magazine allemand Tween, dans l’Internat de garçons de Salem, l’un des meilleurs d’Europe. On y voit un jeune homme, dans une salle de bain partagée, se renverser de l’eau sur le corps. C’est un exemple de nu masculin dans lequel le sujet n’est absolument pas soumis au regard du spectateur, au contraire. Si son corps est exposé, le sexe devinable, son expression est virile, presque celle du mâle qui jouit. Les poils visibles aux aisselles et aux pubis montrent que, même jeune, c’est déjà un homme avec les attributs traditionnels de la virilité. Le collier autour du cou, par la chaîne, renforce cette impression. L’eau, en se répandant autour de son corps, l’isole du décor, en mettant en avant son visage. Tout en longueur, il dépasse de l’image, presque insaisissable. Il est isolé mais reste entouré par d’autres garçons, nus eux aussi, mais presque anonymisés : flous, ou dont on ne voit pas le visage. Cela pourrait traduire une image fantasmée des internats de garçons, où fleurissent la masculinité de jeunes hommes de bonne famille en promiscuité. Ce fantasme, plutôt répandu, montre la fascination qu'exerce l’adolescent et son potentiel de virilité naissant.

Herbert List Young Workers

Herbert List Young Workers 1954

La figure dominante de l'adolescent

Boris Ignatovitch Baths

Boris Ignatovitch Baths 1930

Will McBride Mike in the Shower

Will McBride Mike in the Shower, Salem 1963

bottom of page